Voici quelque temps de cela, l'horlogerie souffrait d'un mal quelque peu incurable et on y aurait trouvé une légère tendance à classer les hommes maîtrisant cet art dans la bulle des "derniers artisans de l'horlogerie ". Pourtant, une certaine dualité dans l'esprit horloger s'est créée depuis que le quartz a rendu à l'horlogerie le possible service de l'exempter d'une certaine contrainte nécessiteuse.
Cela veut dire qu'on ne fait plus d'horlogerie pour répondre à une nécessité, (celle d'avoir l'heure) et cela place cette activité dans un domaine purement créatif, voire artistique flirtant peut-être avec la philosophie. Depuis quelques années, nous voyons apparaître une nouvelle génération de "maîtres horlogers", qui considère que l'horlogerie d'aujourd'hui n'est vraiment pas ces montres fabriquées à 100 000 exemplaires par des machines robots à commande numérique, ni même celles faites en cent ou deux cents pièces sur ces mêmes robots, et que l'on nous fait passer pour des pièces uniques et rares, faites mains simplement parce qu'un homme a fait une ou deux opérations manuelles. De ces patrons qui mettent de gros moyens industriels en œuvre, qui permettent de faire de véritables prouesses et des objets extraordinaires, ainsi que de fameux coups en bourse, certes . Mais aussi belles soient-elles, ces montres ont perdu l'âme de l'artisan, faits mains et on y sent quelques relents d'étude de marché, de cahier de charges, de rentabilité d'usine, et de businessman se targuant d'un talent qui est uniquement voué au "Dieu machine".
A l'inverse, serait-il permis de dire que sans ces machines il ne resterait pas grand monde à l'établi, capable de forger une montre de ses mains. Heureusement, l'horlogerie attire en son sein des artisans d'élite, souvent méconnus du public; ces artisans aux mains d'or, qui font preuve de qualités exceptionnelles, d'adresse et d'ingéniosité. Qui font œuvre méritoire en maintenant fermement l'héritage transmis par d'autres générations, tout en s'engageant dans l'évolution spectaculaire qu'apportent les techniques modernes. Appliquant à leurs créations, toutes les ressources de leur savoir-faire. Et trouve avantage à allier le progrès avec traditions intangibles de la profession, partout où le résultat et les performances chronométriques ainsi que la qualité trouvent à y gagner.
Si l'on songe un instant aux moyens assez limités dont ces Maîtres d'Oeuvre disposent pour pratiquer le génie et l'habileté manuelle que réclame la confection de ces chefs-d'œuvres miniatures, on comprend facilement que seuls quelques maîtres horlogers si adonnent aujourd'hui. Elèvant ainsi grâce à ses nouveaux artisans en or, l'horlogerie au niveau des arts les plus accomplis. De nos jours, ils sont de plus en plus nombreux, ces horlogers à vouloir renouer avec les techniques du faits mains et de la création.
Disons que la belle horlogerie ne se contente jamais de la facilité mais recherche la perfection technique et esthétique jusque dans les moindres détails. Les techniques horlogères sont fort diverses et tant étendues que l'on risque à chaque pas de se laisser entraîner à des développements excessifs. Sans disserter ici sur le nec plus ultra d'une mécanique, citons à titre d'exemple qu'une raquette en lame de sabre, façonnée à la main et accusant un poli et un anglage parfait résultat d'un artisan qui s'est rendu maître de son outil par force de travail, n'a rien à envier à celle faite à la machine à commande numérique, simplement soignée en cercle central et aux bras surélevés et polis bombés. On ne peut qu'applaudir une telle initiative destinée à remettre à l'honneur des artisans géniaux et talentueux.
Mais il ne faut pas oublier aussi de mettre en évidence les amateurs de belles mécaniques et l'intérêt sans cesse grandissant du public à l'art vrai. Sans eux, l'horlogerie n'y retrouverait sans doute pas ses lettres de noblesses.
Texte de Stevens Emmanuel, Maître Horloger